dimanche 14 décembre 2014

Avalanche d'informations

Non seulement je venais d'avaler de travers mon cookie mais en plus, je n'en croyais pas mes oreilles ! M et moi ??? Non il y avait forcément une embrouille quelque part ! Comment aurais-je fait pour passer 400 ans avec lui avec tout ce qui s'était passé ? Moi qui me défendais bien d'être une écervelée volage, là j'avais dépassé les bornes des limites ! Je n'avais donc qu'un pois chiche dans la boîte crânienne, de la sauce blanche en guise de neurones ?!
- Tu sembles déstabilisée Nora, dit-il doucement.
- Il y a de quoi ! Je viens pour des explications musclées, limite une déclaration de guerre et vous me recevez avec le thé pour me balancer dans la figure qu'on a partagé le même lit pendant 400 ans. Pardonnez-moi de vous le dire mais là, ça craint !
- Écoute, détends-toi un peu. Je vais te faire visiter les lieux pour que tu te réappropries l'espace et puis nous dînerons tranquillement sans la horde sauvage du cinquième niveau.
- Mais je ne veux pas dîner, je veux des réponses bon di..  bon sang, pardon !
Je m'étais raccrochée aux branches, ce n'était pas le moment de me mettre le Boss à dos en l'insultant, il devait avoir les oreilles partout celui-là.
M leva les yeux au ciel.
- Ne t'inquiètes pas, tu auras tes réponses en temps voulu.
- Pas dans cent ans j'espère ! ronchonnai-je.
- Je tâcherai d'être plus rapide que cela, mais par pitié arrête de me vouvoyer, j'ai l'impression d'être un étranger pour toi et c'est insupportable.
Je fronçai les sourcils et vis se dessiner à vue d'oeil, sur le visage de M, une immense contrariété.
- Ne me demandez pas l'impossible, pour l'instant, vous êtes un étranger et un danger potentiel.
La colère gagna les poings de M, il les serra fortement à s'en faire blanchir les jointures. Visiblement, je l'avais mis en pétard mais contre toute attente, la colère ne dura pas longtemps. Ou alors il était très bon comédien.
- Je saurai te faire changer d'avis, dit-il avec un clin d'oeil.
Je haussai les épaules mais il fit semblant de ne pas le remarquer.
- Suis-moi, ajouta-t-il.
J'embarquai un autre cookie double chocolat pour la route - entre nous, ils étaient à tomber ces biscuits - et lui emboîtai le pas. Nous sortîmes du bureau ovale pour rejoindre le fameux couloir glauque, au bout de vingt mètres, dans un recoin peu éclairé, se trouvait une petite porte dérobée. Il passa la paume de sa main devant un mini scanner et la porte s'ouvrit automatiquement. Finalement, le paradis était à la pointe de la technologie, ce n'était pas aussi poussiéreux et archaïque que je l'imaginais. Il s'écarta pour me laisser passer la première. J'étais face à l'entrée d'un appartement feutré, la moquette rouge foncée, épaisse, étouffait le bruit de mes pas.
- Entre, fais comme chez toi, dit-il à mon oreille.
Cette phrase faisait terriblement cliché, j'avais l'impression de jouer dans un film à l'eau de rose. Cela dit, en toute franchise, l'acteur principal du jour n'était pas du tout désagréable à regarder... Bon d'accord, autant avouer qu'il était sacrément bien foutu ! Nora, ma vieille tu t'égares, ressaisies-toi !
Je le pris aux mots et accrochai mon coupe-vent à la patère qui se trouvait près de l'entrée. Il faisait une chaleur agréable et mon manteau commençait à me gêner.
Je m'aventurerai dans la première pièce à ma droite. Il s'agissait d'un immense salon aux murs couleur crème, avec de larges baies vitrées donnant encore là aussi une vue directe sur le soleil et les nuages. L'éclairage y était plus doux que dans le bureau, plus intime. Une agréable odeur de lavande embaumait la pièce. Je promenais ma main sur le dessus du canapé en cuir beige, puis sur le piano à queue noir qui se trouvait non loin de la cheminée. Tout ressemblait à un logement classique décoré avec goût. Est-ce que j'étais déjà venue ici auparavant ? Je ne saurais le dire. M restait en retrait pour m'observer à loisir, je sentais son regard me suivre dans tous mes gestes. Je me retournai un instant pour le fixer, il esquissa un sourire, il me sembla alors terriblement humain pour vivre dans un endroit pareil malgré son immortalité. Nora ne te laisse pas attendrir, il n'attend que ça !
Je ressortis du salon, en face il y avait une vraie cuisine. Je me demandais si M savait faire à manger, j'imaginais mal un archange supérieur derrière les fourneaux mais bon pourquoi pas ? En tablier, caleçon, et ... Rhooo !!!! Nora t'as pas fini de te faire des films, refroidis tes hormones tu veux ?!
- Tu as faim ? me demanda-t-il. Je peux te préparer quelque chose si tu veux.
- Non merci. Plus tard peut-être.
Je quittai la cuisine afin de poursuivre mon périple. Plus loin sur la gauche, je tombai sur une très grande salle de bain au sol de marbre, douche à l'italienne, ainsi qu'une baignoire assez grande pour tenir à deux dedans.
Je me rendis enfin dans la dernière pièce. Une chambre lumineuse avec un lit d'au moins deux mètres de large, des couvertures et coussins dans les tons ivoire. Un cadre attira mon attention sur une des tables de nuit qui encadraient le lit. Je m'approchai pour voir qui se trouvait sur cette photo. J'en restai sans voix lorsque je réalisai que  M et moi étions enlacés et nous embrassions. J'avais la preuve en image à moins qu'il n'ait utilisé un trucage pour me déstabiliser. C'est vrai quoi un tour de photoshop et on pouvait transformer ce que l'on voulait !
M était appuyé au chambranle de la porte, il me regarda encaisser la photo en silence, il devait s'attendre à l'explosion qui allait suivre lorsque je mis mon nez dans le dressing. D'un côté ses affaires à lui, costumes chics, chemises, cravates et de l'autre, des vêtements féminins à ma taille, dans mes coloris préférés, des chaussures à ma pointure. Des robes, des chemisiers, des froufous, des talons hauts, tout y était !
Je sortis du dressing pâle comme la mort mais ce fût le coup de trop lorsque je m'aperçus que ma bouteille de parfum se trouvait sur la coiffeuse à côté d'une autre photo où manifestement je le regardais avec amour comme la huitième merveille du monde.
J'allai m'asseoir sur le lit, la tête me tournait.
M vint s'installer près de moi, il me prit la main doucement.
- Nora, je sais que c'est sans doute difficile à avaler pour toi, mais il te fallait des preuves. Je ne suis pas le monstre que tu imagines même si je ne suis pas toujours fier de ce que j'ai pu accomplir.
Tu es ici chez toi Nora, c'est notre "chez nous". J'ai tant espéré ton retour, maintenant que tu es là, je ne sais plus trop par où commencer, j'ai tellement de choses à te révéler que j'ai peur ... peur de te perdre pour toujours.
Je relevai la tête et rencontrai ses yeux dorés.
- Je promets d'écouter jusqu'au bout tout ce que vous aurez à me dire. Je ne peux rien promettre d'autre, dis-je avec un pincement évident au coeur.
M poussa un soupir à fendre l'âme. Il se leva et alla ouvrir la porte fenêtre de la chambre.
- Viens discuter avec moi sur la terrasse quand tu seras prête, je t'attends.
Il me fallut bien cinq bonnes minutes pour me remettre d'aplomb, le choc avait été rude et je me préparais, j'en étais certaine, à entendre des choses qui allaient dépasser l'entendement.
Lorsque je le retrouvai dehors, M avait tombé la veste de costume et desserré sa cravate. Il était assis sur un fauteuil de jardin en teck, un verre d'alcool à la main. Les rayons du soleil jouaient avec la couleur de ses cheveux blonds cendrés. Il avait un profil bien dessiné, presque l'équivalent d'une gravure de mode à l'exception près qu'il avait l'air tendu et tourmenté. Je pris le siège près du sien.
- Tu en veux un ? dit-il en montrant son verre.
- Non merci, je vais attendre encore un peu avant de prendre une nouvelle cuite, j'ai encore mal à la tête à cause de la précédente.
M éclata de rire.
- Tu n'as jamais tenu l'alcool !
- Merci bien, vous êtes le troisième à me dire ça aujourd'hui, répondis-je agacée.
Bien, je vous écoute, videz votre sac !
- Nora tu es sûre de vouloir tout savoir ? implora-t-il.
- Oui !
Il souffla pour se donner du courage, passa une main dans ses cheveux et se jeta à l'eau.
- En 1679, tu as fait la connaissance de Sam suite à une tentative d'agression par Van Helsing. A l'époque il était courant que les femmes se fassent trousser sans leur consentement. Sam était ton gardien et il est normal qu'il soit intervenu pour te sauver. Maintenant je vais te révéler la première chose qui va te faire bondir.
Il venait de capter toute mon attention.
- Van Helsing est mort en 1600 et il n'est jamais revenu sous la forme d'un immortel. J'ai pris son apparence pour descendre sur Terre lorsque je m'ennuyais ici. Je n'étais pas du tout le même homme qu'aujourd'hui, j'agissais comme un rustre.
Mon sang venait de se figer dans mes veines. M reprit son récit.
- Lorsque Sam est venu te sauver, j'ai vu rouge. Je te voulais rien que pour moi. Il ne savait pas qui j'étais, il me prenait pour un simple humain, partisan de la chasse aux sorcières. Tout comme Vince dont je me suis servi par la suite. La première fois que je t'ai aperçue, j'ai ressenti une pulsion presque animale, il fallait que tu sois à moi par tous les moyens. Sam s'était interposé, il allait payer. J'ai fait en sorte que le Conseil l'éloigne de toi pendant un certain temps. J'ai cru qu'il obéirait et qu'ainsi j'aurais le champ libre pour t'approcher. Il n'en a rien fait, il est passé outre les ordres. Je me suis donc servi de Vince pour enfoncer le clou en lui faisant croire à ton infidélité et en le laissant décider de votre sort. D'une, je me débarrassais de Sam qui allait perdre ses ailes et de deux, je me débarrassais également de Vince puisqu'il t'avait lui même envoyé sur le bûcher par désespoir. De mon côté, j'avais bien calculé mon coup. J'ai tout fait pour que ton âme soit reconnue innocente de ce dont on l'accusait, tu n'avais jamais pratiqué la sorcellerie. D'ailleurs, Sam a largement plaidé pour toi avant qu'on l'envoie faire un tour dans les lymbes.
M. but une gorgée de whisky. De mon côté, je naviguais quasiment dans la quatrième dimension.
- Une fois que tu es arrivée ici, comme tu as été déclarée morte en martyre, j'ai obtenu l'autorisation de faire de toi un ange. J'ai effacé tes souvenirs pour que tu oublies Sam et Vince, je voulais que tu aies une image objective à propos de moi. Je me rends bien compte combien le procédé que j'ai employé est abominable. Parfois je me fais l'effet d'un monstre, je m'en veux chaque jour de t'avoir fait vivre 400 ans dans le mensonge. J'ai veillé à ce que Raphaël t'assure une formation correcte d'ange gardien, mais même si tu étais toujours dans les parages et que je te croisais régulièrement, ce n'était pas suffisant. Alors je t'ai donné une promotion et tu as été affectée au service du Conseil des cinq, beaucoup plus près de moi. De fil en aiguille, je t'ai rencontrée plus souvent, tu es quasiment devenue mon assistante personnelle. Un lien plus tendre s'est créé au fil du temps, j'ai obtenu ta confiance, ton respect, ton estime et ton amour aussi. Tu m'as tout donné avec un tel abandon Nora que je n'ai pas eu le courage de t'avouer les conditions sordides dans lesquelles tout avait débuté. Quand le Conseil a su que nous étions ensemble, beaucoup n'ont pas été d'accord et ce d'autant plus que j'avais proposé ta nomination à un poste d'archange. Je voulais que tu fasses partie de Conseil avec moi. Nous étions tellement fusionnels que cela me paraissait naturel de t'avoir tout le temps avec moi. Mais cette fois, le Big Boss n'a pas été de mon avis, il trouvait que je négligeais mes obligations, que je m'étais ramolli. J'avais moins la hargne, j'étais amoureux ...
Pour me ramener dans le droit chemin, c'est lui qui a décidé avec une partie du Conseil de t'effacer à nouveau tes souvenirs et de te renvoyer sur Terre pour un lapse de temps indéfini histoire que je comprenne où était l'essentiel dans mon rôle d'archange. Ils n'ont pas compris combien tu étais vitale à mon existence, quand ils t'ont renvoyée en bas, je n'ai pas pu le supporter bien sagement sans rien faire. Alors je suis descendu aussi souvent que je le pouvais pour être près de toi.
- Sous la forme de Van Helsing ? demandai-je.
- Pas seulement. Van Helsing ne pouvait pas se trouver aussi près de toi que je le voulais alors j'ai pris une autre forme pour être avec toi le plus souvent possible, dit-il.
J'avais beau réfléchir, je ne voyais pas dans la peau de qui il avait pu se mettre.
- Tu ne trouveras jamais, c'était assez tordu comme idée mais ça a bien fonctionné. Depuis 8 ans maintenant, je partage toutes tes nuits.
- Je savais bien que je connaissais vos yeux, j'ai tout de suite reconnu cette couleur particulière sans pouvoir malgré tout la rattacher à quelqu'un.
- C'est normal que tu ne trouves pas, tu cherches parmi les humains.
Je réfléchis quelques secondes et tout à coup, mes neurones firent connexion.
- Vous avez pris l'apparence de Win ???!!! m'écriai-je.
M. fit un large sourire accompagné d'un clin d'oeil.
- Bien joué ! J'adore quand tu me grattouilles le ventre et le dessus de la tête mais ça ne vaut pas les câlins d'avant ! Cela dit, je m'en suis contenté jusqu'à ce matin, je n'avais pas le choix. Le plus important c'était de pouvoir veiller sur toi même de loin. Tu ne soupçonnes pas à quel point j'ai pu être malheureux sans toi, ne pas pouvoir te toucher, t'embrasser, sentir ton parfum, voler dans les nuages avec toi. J'ai été puni pour tout le mal que j'ai pu te faire, et je l'ai bien mérité. Maintenant tu as oublié à quel point je t'aimais et tu ne vas retenir de moi que l'image d'un monstre manipulateur. Pourtant si tu savais combien nous avons été heureux ensemble, tout serait peut-être différent ... Si seulement le patron voulait bien te rendre tes souvenirs, tu pourrais juger en toute connaissance de cause.
M. posa son verre, se leva et vint s'agenouiller devant moi.
- Nora, je t'en prie, pourras-tu un jour me pardonner ? dit-il en me suppliant du regard.
Il semblait si malheureux et dévasté qu'il m'en arracha des larmes. Je ne savais même pas pourquoi je pleurais, il avait l'air tellement sincère que mon estomac se noua. J'étendis la main pour caresser ses cheveux comme je l'aurais fait avec le pelage de Win... Je ne savais plus ce que j'étais sensée ressentir, de la haine, de la peine, du dégoût, du soulagement de l'avoir retrouvé. Non je ne savais plus, j'étais larguée ...

A suivre ...











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