vendredi 19 décembre 2014

Entretien divin

J'aurais voulu trouver les mots justes pour une telle situation mais tout était si confus. Comment savoir quoi faire ou quoi dire quand il me manquait une partie des informations de base ? Même une séance d'hypnose avec Vince aurait été inutile dans mon cas puisque le Patron verrouillait tout. Ma formation de psy ne m'était d'aucune aide non plus. Pour le moment, je ne pouvais compter que sur mon instinct de survie et mon intuition. En même temps, l'instinct de survie ne me servait pas à grand chose non plus puisque j'étais déjà morte depuis un bout de temps.
Le soleil commençait à décliner dans le ciel. Je ne sais combien de temps j'avais passé à caresser les cheveux de M tout en réfléchissant comme lorsque je passais la main dans le pelage de Win. Nous avions fini par nous asseoir par terre, il avait posé sa tête sur mes genoux et le silence était tombé en même temps que le jour. Tout à coup, j'aperçus Raphaël qui venait de se poser au bout de la terrasse. Quelque chose me disait que c'était le début des ennuis. Il s'approcha tellement doucement que M, perdu dans ses pensées lui aussi, ne s'était pas rendu compte de son arrivée.
- Nora ?
Je relevai la tête. M poussa un grognement d'ange des cavernes avant de se mettre debout. Je me levai à mon tour.
- IL veut te voir tout de suite, annonça Raphaël.
Je pris une grande inspiration.
- Je m'en doutais. J'arrive.
M me barra le passage.
- Elle n'ira pas toute seule, je viens aussi, dit-il en s'adressant à Raphaël.
Ce dernier fit non de la tête.
- IL veut lui parler seul à seule. Attends ici, je viendrai te prévenir quand ce sera fini.
- C'est hors de question et tu sais que c'est inutile d'insister.
M. il a entendu tout ce que tu as fait, tu as dépassé les bornes. C'est pour cela qu'il veut s'entretenir uniquement avec elle. IL décidera de ton sort plus tard.
- Je n'en attendais pas moins de Lui. Il est normal que je réponde de mes actes mais peux-tu m'accorder une minute avec Nora s'il te plait ?
Raphaël hocha la tête et se mit à l'écart à l'autre bout de la terrasse.
M. posa ses deux mains sur mes épaules et me fit face.
- Nora, je t'en prie, je sais que tu as la langue bien pendue alors ne joue pas avec le feu. Écoute patiemment ce qu'il te dira, prends ton temps pour répondre quand il te posera une question.
Je haussai les épaules.
- Je devrais réussir à m'en sortir.
- Ne le sous-estime pas, ce n'est pas parce-que c'est Dieu, celui qui est censé être rempli de bonté qu'il va forcément être gentil avec toi. Il est capable de tout, il a un caractère épouvantable parfois.
- Pire que le vôtre ? ironisai-je.
- Encore plus susceptible et entêté que moi, c'est dire !
- Pfiou j'en fais mon affaire, j'ai eu des patients pires que Lui.
M secoua la tête.
- Nora, je te le répète, fais très attention, tu prends les choses trop à la légère.
- Dites donc, c'est vous qui m'avez mise dans le pétrin et c'est moi qui devrais avoir peur ? Elle est bien bonne celle-là !
M leva les yeux au ciel d'agacement et me cloua le bec par un baiser. Nan mais oh il aurait pu me demander mon avis quand même ! Je dois bien admettre que c'était un baiser plus qu'agréable mais je ne lui donnerais pas la satisfaction de le lui dire. Comme si j'allais m'extasier devant un mec qui m'avait envoyée au feu pour me garder avec lui toute l'éternité. Je savais bien que la jalousie faisait faire des conneries, mais à ce point c'était extrême.
M scruta mon regard pour y déchiffrer ce que j'avais pu ressentir.
- Aucun souvenir ne te revient je parie, dit-il déçu.
C'était quoi cette manie du test du baiser d'ailleurs ?! Je vous jure ...
- Non et puis c'est bien la première fois que je me fais embrasser par un chat ! ajoutai-je pour clore le débat.
M éclata de rire.
- Au moins même si tu me détestes pour ce que j'ai pu faire, tu n'as pas perdu ton sens de l'humour.
Il remit une mèche de mes cheveux derrière mon oreille tout en observant mon visage comme s'il voulait le graver pour toujours dans sa mémoire.
- Je ne sais pas si je dois vous détester ou vous faire embarquer chez les dingues, ou même vous gratouiller le ventre parce-que j'aimais Win et qu'il a été un animal de compagnie tendre, patient et dévoué. Une chose reste certaine, je ne perds jamais mon humour, juste la raison de temps à autre, mais je me soigne ! Bon, ce n'est pas que je m'ennuie mais ON m'attend.
Une minute de plus et j'aurais été capable d'avoir un geste tendre pour lui, il ne le fallait surtout pas. Pas maintenant. Pas tant que je n'avais pas toutes les cartes en main. Déjà que j'étais tombée dans un syndrome de Stockholm à l'insu de mon plein gré pendant 400 ans, inutile d'en rajouter.
Je m'écartai de M pour rejoindre Raphaël. M ne put s'empêcher de me dire une dernière chose alors que j'avais le dos tourné et que je m'éloignais de lui.
- Nora, souviens-toi que je t'aime !
Ce à quoi je répondis avec désinvolture malgré un pincement au coeur.
- Je tâcherai de ne pas l'oublier, s'IL m'en laisse l'occasion. Quant à partager le même sentiment, c'est une autre histoire ...
J'agitai la main sans me retourner en signe d'au revoir ou d'adieu, allez savoir ...
Raphaël m'accueillit avec un léger sourire mais il semblait préoccupé. Il me prit par la main et nous nous dématérialisâmes. Cette fois pas d'ascenseur mais je me retrouvai malgré tout au dixième niveau.
Raphaël m'escorta jusqu'au bureau du Big Boss. Un détail m'intriguait.
- Qu'y a-t-il au huitième et neuvième niveau au fait ? le questionnai-je.
- Bah la cantine et la discothèque qu'est-ce que tu croyais ? me fit-il avec un clin d'oeil.
Je pouffai malgré le sérieux de la situation. Quel pince sans rire celui-là ! J'imaginais mal Uriel ou le Patron en train de se déhancher sur une piste de danse. Et puis d'abord, puisque nous étions tous morts quel était l'intérêt de manger ou de danser ? Aucun ! Encore des bobards, il faudrait que j'interroge M ou Sam à l'occasion pour en savoir plus.
- Pas trop nerveuse ? me demanda mon ancien instructeur.
- Morte de trouille serait plus approprié, soufflai-je alors que nous arrivions devant une nouvelle double porte en bois massif.
- Ne t'en fais pas, il ne va pas te manger.
- Je me doute bien qu'il donne les anges déviants en pâture à Lucifer au lieu de les servir en sushis au réfectoire !
Raphaël ne put s'empêcher de rire.
- Je ne me rappelais plus à quel point tes répliques à deux balles m'avaient manqué.
- Je vais le prendre comme un compliment même si je ne suis pas certaine d'avoir envie de me tordre de rire.
Raphaël reprit son sérieux assez vite malgré tout.
- Prête ?
- Absolument pas ! Mais bon, je ne vais pas Le faire attendre davantage.
La porte s'ouvrit.
- Je t'attends ici, dit-il en m'envoyant une tape dans le dos.
Je me faisais l'effet d'une vache qu'on amène à l'abattoir, je traînais des pieds.
Je me retrouvai au milieu d'une plateforme grande comme une cathédrale, aucun mur, juste un ciel de traîne jauni, un peu de la couleur qui précède une averse de grêle.
Une grosse voix raisonna à mes oreilles mais je ne vis personne.
- Nora Elizabeth Chester ! tonna-t-il.
Whouah en plus du reste, il comptait aussi m'exploser les tympans, ça commençait bien !
- Oui ? répondis-je avec une voix de souris en me retournant de tous les côtés, mais je ne voyais personne. Devais-je dire monsieur ou mon Dieu quand je m'adressais à lui ?! Je n'y connaissais rien du tout en protocole céleste moi !!!
- Pourquoi es-tu venue retrouver M sans avoir été convoquée ?
- Je voulais des réponses à mes questions.
- Tu aurais dû attendre que je t'appelle à moi. Tu n'es donc pas heureuse de ta nouvelle vie sur Terre ?
Je réfléchis un instant.
- Jusque là, elle était plutôt fade et sans saveur cette nouvelle vie. Et puis Vince et Sam ont fait leur apparition et les événements se sont précipités.
- Je vois. Mais ne peux-tu donc pas te contenter de rester avec des questions sans réponse ? Certains y parviennent très bien.
- Oui mais pas moi surtout quand on me demande de faire un choix et qu'on m'a caché des tas de choses.
- Dis toi que c'est pour une raison d'Etat ! ironisa Dieu.
- Et puis quoi encore ? Ca vous amuse M et vous de jouer les Men in black avec moi et de m'effacer la mémoire quand ça vous arrange ? J'en ai assez d'être manipulée.
- Je comprends, mais parfois il n'est pas bon de remuer la boue. M s'est très mal conduit, j'en conviens, et si j'avais su le fin mot de l'histoire avant aujourd'hui, il aurait été puni depuis très longtemps. Tu en as eu l'exemple avec Sam qui t'a séduite sous sa forme humaine. Il a été châtié comme le règlement le prévoit.
- Ah oui, vous avez autorisé qu'on lui arrache les ailes, c'était une véritable punition, presque une mise à mort. Mais vous parlez de M comme d'un gamin immature que vous allez mettre au coin. Y'aurait-t-il deux poids, deux mesures chez vous ?
Je sentis la plateforme trembler sous mes pieds.
- Le fait de te renvoyer sur Terre équivalait en effet à le mettre au coin pendant 30 ans et à te donner une seconde chance de vivre une existence normale.
- Vous m'avez surtout écartée parce-que je faisais de l'ombre aux membres du Conseil pas pour le reste. Et en plus, vous ne l'avez pas surveillé beaucoup puisqu'il a joué au chat gardien !
- Toi ? De l'ombre au Conseil ?! Petit ange insignifiant ! Ne va pas t'imaginer un pouvoir que tu n'as pas, à part celui de mettre la tête de mon archange le plus puissant à l'envers, tu n'es pas capable de grand chose d'autre. Pour ta gouverne, sache que je lui fais entièrement confiance même à l'heure actuelle, c'est un homme d'honneur et il est loin d'être aussi insensé que tu l'imagines. Il n'a pas fait arracher les ailes de Sam pour rien, tu n'étais pas l'unique motif de cette décision.
- C'est à dire ? m'exclamai-je.
- Sam fricotait aussi un peu trop avec le côté obscur de la force si tu vois ce que je veux dire. Il n'a pas été déchu juste pour une amourette avec une humaine. Alors si M. a profité de la situation, il n'est pas seul coupable dans l'histoire.
- Comme il est facile de charger un absent !
- Nora, il est tout aussi facile d'accuser sans savoir, rétorqua Dieu.
- Alors donnez-moi une explication rationnelle au fait que M n'ait pas hésité à me faire tuer pour m'avoir.
- De ce que j'ai compris M est amoureux, il t'a plutôt fait cadeau de l'éternité.
- Dites donc c'est un peu tiré par les cheveux votre raisonnement !
- Nora, savais-tu qu'un ange ne se conduit jamais de la même manière ici et sur Terre surtout quand il habite de nouveau un corps humain. Il a eu les mêmes pulsions que lorsqu'il était un homme bien vivant, excessif et impulsif.
- Vous excusez donc son comportement ?
- Non je ne l'excuse en rien, je tente de t'expliquer le décalage entre son comportement d'alors et la suite où finalement, tu as plutôt eu l'air de te plaire en sa compagnie.
- Imaginez vous bien que si j'avais su que c'était lui qui avait commandité ma mort pour emmerder Sam et lui faire perdre ses ailes par jalousie, j'aurais réfléchi à deux fois avant de lui tomber dans les bras.
- En dépit de tout cela, tu l'as aimé.
- Oui bein c'est vous qui le dites, rendez-moi mes souvenirs que j'en juge par moi-même ! Je ne vous fais pas confiance !
- Nora douterais-tu de ton Dieu ? gronda-t-il.
- Euh ... oui ! On ne peut pas dire que vous ayez des méthodes très catholiques !
M profita de ce moment pour débarquer pendant que je me faisais remonter les bretelles par le Big Boss.
- Nora, tais-toi je t'en supplie, arrête de le provoquer, il va t'envoyer en Enfer comme il l'a fait pour Sam !
J'étais exaspérée de l'ingérence de tout le monde dans mes affaires.
- Dites donc tous les deux, une petite minute ! Qui a arraché les ailes de Sam et qui l'a envoyé en Enfer ?
- Les ailes c'est moi, avoua M. Pour le reste, c'est Lui ! dit-il en pointant l'index vers le ciel.
Dieu commença sérieusement à se mettre en pétard.
- Métatron, je t'avais formellement interdit de venir ici pendant mon entretien avec Nora. Tu auras beau faire, tu ne pourras pas la protéger de tout. Tu paieras pour tes erreurs mais elle assumera seule son impertinence et sa légèreté.
Le Patron s'adressa à nouveau à moi sur le ton des mauvais jours.
- Qu'es-tu donc venue revendiquer ici Nora Chester ? Une place d'archange au Conseil, récupérer tes souvenirs, faire punir lourdement M, venger Sam ? Et le mal que tu as fait toi à Vince ? Tu n'es pas la blanche colombe que tu imagines Nora Chester ! Tu les voudrais bien tous les trois sans avoir à choisir, je sais lire dans ton esprit. Ton problème c'est que tu es incapable de faire un choix tranché et tu rejettes la faute sur Moi.
Celle-là je ne l'avais pas volée, j'avais fait du mal à Vince et le pire c'est que je continuais. Même avec ma nouvelle vie sur Terre, je n'avais pas fait mieux que la première fois. Mais insinuer que je voulais ouvrir un harem, fallait pas abuser non plus !
- Monsieur, mon Dieu, ou choisissez le terme que vous voudrez, je suis psychologue et je navigue tous les jours dans la fange cérébrale des humains alors sachez que non, je n'ai rien d'une blanche colombe, j'ai mes failles aussi, j'en suis consciente. Et ange ou pas, j'ai le droit de remettre votre jugement en question tout Big Boss que vous êtes !
Si M avait pu me bâillonner, je crois qu'il n'aurait pas hésité à me mettre un triple couche d'adhésif sur la bouche pour me faire taire. Un orage se préparait au paradis, j'avais mis le Patron en rogne.
- Nora, tu veux récupérer tes souvenirs ? C'est parfait tu les auras, mais tu auras un prix à payer.
- Lequel ?
- Tu ne veux pas de la vie paisible que j'ai choisie pour toi alors soit, je te rends tes souvenirs. En contrepartie, tu es nommée Haute Responsable à la Gestion des Créatures Obscures résidant sur Terre, tu auras des comptes à me rendre régulièrement. Par ailleurs, je te laisse une année entière pour décider du sort de M mais pendant cette année, il sera ton conseiller pour t'aider à remplir ta mission. Tu pourras voir s'il mérite que tu lui arraches les ailes toi-même ou si tu es capable de pardon. Tu verras ainsi combien il est difficile de décider du sort d'autrui.
Je faillis m'étrangler en entendant la sentence divine. Et Dieu finit de m'achever avec un dernier détail.
- Si tu échoues dans la mission que je t'ai confiée, tu n'auras aucune chance de revenir dans mes bonnes grâces, tu iras directement loger chez le grand cornu avec ce traître de Sam. Maintenant, disparaissez tous les deux ! Du balai !
Je sortis de chez le Patron dans un état second, ce qui ne m'a pas empêchée de l'entendre bougonner dans sa barbe "mais quelle emmerdeuse celle-là !"




A suivre ...



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire