mardi 11 février 2014

Démon sur canapé

La semaine avait débuté comme un lundi sous la pluie, un temps à ne pas mettre un orteil dehors et pourtant, il fallait bien rejoindre mon cabinet où les patients défileraient une bonne partie de la journée.
Installée depuis maintenant 3 ans en tant que psy, j'avais une patientelle  régulière qui n'aurait pas toléré que je la laisse avec ses angoisses et autres phobies même pour une journée.
Courageusement, j'avais donc enfilé un chemisier lilas, un tailleur jupe noir, des bottes assorties et un imperméable digne d'un marin breton ! Bon noir et jaune, j'avoue que cela faisait un peu abeille sur les bords mais les psychologues ne sont-ils pas réputés pour être un peu loufoques aussi ?!
Je mettais un point d'honneur à ne pas avoir l'air d'une thérapeute coincée, il était déjà bien assez difficile d'aider les autres à régler leurs problèmes sans que j'ajoute de la grisaille à mon apparence aussi.
J'arrivai donc à mon bureau, détrempée comme un chat passé au karcher. Autant dire que je ne ressemblais plus à grand chose malgré ma bonne volonté. Mon parapluie rose s'était retourné au premier carrefour que j'avais traversé, bref je n'étais pas à prendre avec des pincettes.
Malgré tout, je devais honorer mon premier patient de mon plus beau sourire, le but étant de donner un peu de réconfort et de ne pas enfoncer davantage le dépressif chronique que je suivais depuis 18 mois. Ah, ce brave monsieur Peters ... un veuf de 56 ans qui ne se remettait toujours pas de la mort de sa femme survenue 10 ans plus tôt. Tellement triste qu'il pourrait faire pleurer un régiment entier de commandos parachutistes. Comme à chaque séance, une boîte entière de mouchoirs jetables allait y passer.
 Je devrais peut-être songer à prendre des actions chez kleenex ?!
 Après les 30 minutes hebdomadaires de monsieur Peters, j'enchaînai avec madame Franklin qui, elle, tentait tant bien que mal de se défaire d'une addiction au jeu. Ses après-midi au casino avaient souvent raison de sa pension de retraite.
Je me demandais d'ailleurs comment elle trouvait encore le moyen de me régler le prix de ses séances de thérapie. Non seulement elle était une joueuse invétérée mais aussi, en plus d'être un panier percé, une remarquable cancanière qui ne manquait pas de me tenir au courant des derniers potins circulant dans tout Cambridge. Heureusement que les séances n'excédaient pas la demie-heure sinon j'y aurais passé la journée et bu un nombre incalculable de mugs de thé pour garder les yeux ouverts. Mme Franklin est adorable mais un chouilla assommante, il faut bien l'avouer !
Dix heures sonnèrent quand je raccompagnai Mme Franklin à la porte de mon cabinet. Il était l'heure de ma pause. Je me rendis dans la pièce réservée à mon usage privé, une sorte de cuisine miniature, afin de me préparer du thé. J'en profitai pour consulter mon téléphone portable, un nouveau message était arrivé sur mon répondeur. Ma prochaine patiente venait d'annuler sa séance de 10h30. J'avais donc une heure à tuer. Je sortis de la cuisine avec ma tasse à la main, quand je me retrouvai nez à nez avec un inconnu dans ma salle d'attente.
Mon mug faillit voler tellement je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un ait pu pénétrer dans le cabinet sans avoir sonné à l'interphone. J'étais pourtant persuadée de bien avoir refermé la porte derrière Mme Franklin. Étrange et perturbant !
Je tentai donc de reprendre contenance quand ce grand type s'est levé de sa chaise. Un mètre quatre-vingt-dix tout en muscles, des cheveux longs d'un noir de jais, et des yeux aussi foncés que du charbon qui vous transpercent en un seul regard. Misère, il foutait la trouille  !
J'avais bien fait un stage de 4 semaines dans un hôpital psychiatrique de la périphérie de Londres mais aucun des patients que j'avais pu y croiser ne m'avait foutu les chocottes de cette façon. Je n'étais pourtant pas un nain de jardin mais là je me sentais aussi petite qu'une souris. J'allais jouer la diplomatie ce serait plus sage que de râler comme une hystérique si je voulais qu'il dégage vite fait bien fait.
- Monsieur, puis-je vous aider ? Nous n'avons pas rendez-vous me semble-t-il.
- Oui et non.
Punaise, ça commençait bien ! Ce serait pas mal de jouer à ni oui-ni non, sinon ce soir j'étais encore campée là !
- Puis-je vous demander quel est le but de votre visite ?
- Faire une thérapie. C'est ce qui est écrit sur votre plaque non ? Vous êtes bien psychologue  / psychanalyste et vous pratiquez aussi l'hypnose ? 
- Euh ... oui bien sûr, mais mes compétences sont à votre service uniquement sur rendez-vous.
S'il continue à me regarder comme ça en me donnant l'impression qu'il va me mordre, je vais faire pipi dans ma culotte ! Mais c'est qui ce con là ?!
 - Eh bien la prochaine fois je prendrai rendez-vous ! En attendant, vous n'avez pas de patient, votre salle d'attente vide en atteste, alors j'aimerais discuter maintenant.
Et zou sans demander la permission, le voilà parti d'un pas de félin en direction de mon bureau. Il s'installa directement sur mon divan, les jambes croisées, comme s'il était chez lui ! Je rêve !
Où est-ce que j'avais mis ce putain de spray au poivre ? Je sais qu'il est quelque part dans mon bureau en cas d'agression mais où ???? Surtout ne pas paniquer !
Je m'installai donc sur mon fauteuil habituel, proche du canapé.
Logiquement le patient ne me voyait pas mais là on aurait dit qu'il avait des yeux dans le dos ! 
Je frissonnai mais empoignai tout de même un stylo et mon calepin afin de prendre des notes.
 - Comment vous appelez vous ? murmurai-je.
- Est-ce bien nécessaire que vous le sachiez ? rétorqua-t-il.
 - Oui, insistai-je.
- Comme il vous plaira ! Vous aimez quoi comme prénom ?
Je hurle ou je reste calme là ? Il se moque du monde ce type.
 Sentant mon agacement, il ne me laissa pas le temps de répondre.
 - Sam, pour vous ce sera Sam.
Je soupirai.
- Bien. Poursuivons. Pourquoi venez-vous me voir, Sam ?
 - J'en ai assez de faire le mal, je déprime.
- Pouvez-vous clarifier votre pensée ? dis-je en ayant un peu de mal à déglutir.
 - Je suis à la solde du méchant gars à la queue fourchue depuis des milliers d'années et j'en ai marre. Je veux récupérer mes ailes. J'étais un mec bien ... avant ...
 - Là je crois que vous n'êtes vraiment pas bien, vous avez effectivement besoin d'aide.
Sont où les infirmiers avec la grande chemise qui s'attache dans le dos bon sang ?!
Il se pencha sur le côté du canapé, et me toisa plutôt ravi de son effet.
 - Je savais bien que vous alliez me prendre pour un dingue mais je n'en suis pas un et je vous le prouverai bientôt.
Il me fit un clin d'oeil accompagné d'un espèce de sourire étrange.
Je baissai les yeux trois secondes pour écrire en gros sur son dossier : patient délirant.
Je relevai le menton. Sam avait disparu.

A suivre ...



9 commentaires:

  1. Euh c'est pas bien de laisser tes lecteurs comme ça :P
    Génial !!!!

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  2. Hé hé, Sco is back ... youpiiiiii

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  3. Comment ça je laisse mes lecteurs en plan ?! Ouais bon j'admets 2 ans sans texte à se mettre sous la dent c'est long !

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  4. Elle est revenue mais elle va zigouiller beaucoup moins de monde qu'avant ! mdr

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  5. Enfin Dame Sco est de retour !! Que tu nous as manqué !! Bon, bien évidement on reste en pamoison sur ton bout de canapé à attendre la suite...

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  6. bien contente aussi de te retrouver..
    çà commence fort !!!

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  7. Vous aussi vous m'avez manqué les filles ! J'espère que l'histoire vous plaira.

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  8. bravo.. heureux de te voir revenir... crayon au poing... et l'esprit toujours aussi vif et léger.

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  9. Merci du compliment Charles ! A bientôt ;-)

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