dimanche 9 mars 2014

Repas avec un déchu.

En passant devant les vitrines du centre-ville, j'aperçus mon reflet et celui de Sam. Honnêtement nous n'étions pas du tout bien assortis. Moi en coupe-vent, pull, jean et baskets, plus débraillée tu meurs ! Et lui, blouson de cuir, treillis noir, lunettes de soleil et crinière soyeuse au vent. Il avait véritablement la démarche d'une panthère. Je savais pertinemment qu'il observait sa proie derrière ses verres fumés, je n'étais pas dupe mais je le laissais faire. Tout cela m'amusait beaucoup ce matin.
Nous optâmes pour un petit restaurant qui servait des grillades. Depuis 11h00, j'avais les crocs, je rêvais d'un steak cuit à point et d'une montagne de frites !
Le serveur nous installa à une petite table un peu à l'écart, il devait s'imaginer qu'on se bécoterait pendant toute l'heure du déjeuner.
Sam avait relevé ses lunettes au-dessus de la tête. Le champs capillaire était donc dégagé pour que je puisse voir sans problème les deux billes noires qui lui servaient d'yeux. Occupée à lire la carte du restaurant, je savais que Sam ne scrutait pas le menu, son regard était braqué sur moi. C'était tout à fait déstabilisant sachant qu'en plus j'avais des choses sérieuses à lui raconter. A croire qu'il le faisait exprès pour me déconcentrer. Et dire que j'avais promis à Vince d'éviter de le fréquenter mais bon, en même temps, il m'avait demandé de lui parler de Van Helsing dès que je le verrais. Il savait donc que je le rencontrerais forcément à nouveau. Et puis après tout, je n'avais aucun compte à rendre à Vince, je déjeunais avec qui je voulais...
- Miss Chester, vous avez fini de vous planquer derrière le menu ? dit-il en abaissant la carte du bout de l'index.
Je rencontrai ses yeux qui me fusillèrent avec une envie non dissimulée. Oh punaise, il allait finir par me filer des bouffées de chaleur celui-là !Le serveur arriva pour prendre notre commande, du coup la tension retomba un peu.
Sam choisit une entrecôte, tandis que je restai sur mon idée de départ : steak-frites. Mon estomac gargouillait. On nous apporta une coupelle de cacahuètes histoire de patienter. Sam sirotait un whisky sec, moi j'étais au jus de tomates. Quand je disais qu'on était mal assortis, ça se voyait jusque dans le fond de nos verres !
Ce fut le bad boy de service qui rompit le silence le premier.
- Alors que faisiez-vous ce matin à l'église ?
- Je suis allée me renseigner à propos d'une tombe que j'ai trouvée au cimetière cette semaine.
- Et alors ?
- Alors une certaine Nora Elizabeth Chester est censée y être enterrée. Elle a parait-il été brûlée vive en place publique en 1680 pour acte de sorcellerie et entente avec votre patron !
- Pas très cohérent tout cela, marmonna-t-il.
Je sentais que j'avais néanmoins piqué sa curiosité. Sam s'accouda à la table, une main sous le menton.
- Sauf que sa mémoire a été réhabilitée car sa famille a réussi à prouver son innocence quelques années plus tard. L'Église l'a déclarée morte en martyre.
- D'où la tombe toute belle, toute propre, et vide à l'intérieure, j'imagine ...
Je fus interloquée.
- Comment savez-vous qu'elle est toute propre ? Vous m'avez suivie aussi jusqu'au cimetière ?!
Il hocha la tête en signe d'approbation, un chouilla contrarié de s'être vendu tout seul visiblement.
- Nora, vous ne comprenez donc pas que votre vie est menacée ces derniers temps ? Je ne peux tout de même vous laisser vous balader partout sans surveillance.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce bazar ? dis-je en haussant le ton.
Vous êtes un ange déchu déguisé en garde du corps ou quoi ?
Pour une fois, Sam était pris en défaut.
- Si vous insistez, on va dire que oui.
J'étais hors de moi, pour qui est-ce qu'ils se prenaient les deux Starsky et Hutch du surnaturel ?! Le déchu et le sorcier qui me surveillaient et me dictaient ma conduite. Hallucinant !
- Et vous vous êtes mis d'accord sur mon dos pour me filer le train avec Vince ?
Sam poussa un long soupir, pour une fois, il semblait gêné.
- Disons que c'est un accord tacite mais ne vous emballez pas Nora, on ne peut toujours pas s'encadrer tous les deux et ça remonte à plusieurs siècles. Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne disposez pas de tous les éléments.
- Eh bien expliquez-vous !
J'étais furibonde.
- Pas maintenant, articula-t-il fermement.
Ses yeux charbons étaient sur le point de lancer des flammes, mieux valait que je me calme, je ne savais pas trop ce dont il était capable après tout.
Le serveur arriva avec nos assiettes, il se dépêcha de les déposer sur la table car il avait compris que l'atmosphère n'était pas aux roucoulades.
- Bon puisque vous faites de la rétention d'informations, je ne vous parlerai pas de la visite que j'ai reçue vendredi matin au cabinet.
J'entendis un grondement caverneux émaner de Sam.
Du coup je décidai de lever le camp sans avoir mangé une seule frite. Je me levai pour partir quand il me retint fermement par le bras. Sa force surhumaine me poussa à reposer mon popotin sur ma chaise.
- Nora, ne me refaites jamais une scène théâtrale aussi nulle que celle-ci. Ma patience a ses limites, je vous apprécie beaucoup mais attention, le feu, ça brûle.
- Les menaces ne m'impressionnent pas, grinçai-je.
Rhoooo quelle menteuse je faisais, pour un peu j'aurais fait pipi culotte à la façon dont il m'avait chopé le bras !
- Et moi je n'aime pas les comédies de gamine.
Vlan prends toi ça dans les dents Nora ! Moi une gamine ?! Je rêve !!!
Je tâchai de ravaler ma fierté. Je pris mon couteau et ma fourchette pour attaquer ma viande sans un mot. Je ne laissai même pas traîner une frite dans mon assiette. Sam lui était resté sans bouger, les bras croisés à m'observer jusqu'à la dernière bouchée. Son regard était impénétrable. A se demander s'il avait envie de m'envoyer brûler directement en enfer ou s'il allait me sauter dessus en faisant voler la table dans la salle de resto !
Je m'essuyai délicatement la bouche avec ma serviette. Je la pliai au carré et la reposai sur la table.
- Maintenant dites moi pourquoi suis-je en danger Sam ?
- Dites moi d'abord qui vous avez vu vendredi ! C'est donnant-donnant.
J'avais envie de lui balancer des tartes.
- C'est bon vous avez gagné. De toute manière Vince m'a demandé de vous en parler.
Sam afficha un rictus satisfait.
- Alors je vous écoute.
Il semblait s'être radouci. Il décroisa les bras et entama enfin son entrecôte qui devait être froide. Je ne savais même pas que les anges déchus avaient la sensation de faim et mangeaient comme les humains !
- Un type avec les cheveux gris argentés, plutôt jeune, enfin une petite quarantaine, est venu me voir.
Il me fit signe de continuer pendant qu'il enfournait un nouveau morceau de viande dans sa bouche.
- Gabriel Van Helsing, lâchai-je.
La fourchette de Sam retomba dans l'assiette, il faillit même recracher son entrecôte.
- Ah non pas lui ! s'écria-t-il.
- Pourquoi il y a un problème encore plus gros que celui que j'imagine ?
- Tout dépend de ce que votre esprit est capable d'imaginer. Cet homme ce sont les dix plaies d'Égypte à lui tout seul.
Et bien s'il me voulait me faire peur c'était réussi. Déjà que la visite d'hier m'avait bien refroidie, là j'avais envie de prendre mes jambes à mon cou et de détaller.
- Sam ? dis-je timidement.
- Quoi ?
- Le même nom est apparu dans les archives que j'ai trouvées à l'église. Ce sont les accusations d'un Van Helsing qui ont mené Nora Elizabeth Chester au bûcher.
Sam se pencha au-dessus de la table pour se rapprocher de moi.
- Et ça vous étonne ? répondit-il.
- Je trouve la coïncidence vraiment très étrange.
Il ne me laissa pas poursuivre, il attrapa mon menton au creux de sa main droite afin que je le regarde droit dans les yeux.
- Ma beauté, ce n'est pas une coïncidence. Il est venu finir le boulot. Quand ce mec a une idée en tête, il va jusqu'au bout et il traque tous ceux qui touchent de près ou de loin la cible qu'il s'est fixée.
Je déglutis péniblement. Il allait me rendre mon menton oui ?!
-
Vous n'insinuez quand même pas que c'est le même homme qui a envoyé la Nora de 1680 dans les flammes ?! dis-je abasourdie.
- Ah mais je n'insinue rien, je l'affirme. Vous comprenez pourquoi je vous dis que vous avez besoin d'être surveillée de près ... de très près même ! ajouta-t-il sans pouvoir s'empêcher de me faire un clin d'oeil.
Décidément il n'en perdait pas une celui-là. Il venait enfin de me rendre mon visage, ouf, il était temps, j'ai failli avoir une crampe de la mâchoire !
- Comment pouvez-vous être aussi catégorique ? insistai-je.
- Tout simplement parce-que j'étais là et que j'ai tout vu.
Alors là, il venait de me couper la chique. J'en oubliai de respirer. C'en était trop pour une seule humaine. Sam vit à ma tête qu'il en avait sans doute trop dit en une seule fois.
- Miss Chester, remettez-vous. Cette fois, on ne le laissera pas vous faire de mal.
Tout était confus, il venait de dire quoi ?!
Je ressentis des bourdonnements d'oreille et fus prise de vertige. L'image de Sam tanguait.
Je me retenais à la table afin de ne pas m'écrouler. Le déchu se leva rapidement de sa chaise pour venir me soutenir. Cette fois il ne rigolait plus, il avait l'air inquiet. Il sortit quelques billets qu'il laissa à côté de son assiette. Il tenta de m'enfiler mon manteau tant bien que mal, je n'avais même pas le réflexe de l'envoyer balader. Toute la pièce tournoyait autour de moi. Les voix des autres clients étaient toutes mélangées, j'étais même incapable de dire quelle chanson passait comme musique d'ambiance.
Sam passa un bras sous mes aisselles, un autre sous mes genoux et me souleva comme une plume. J'aurais été incapable de marcher de toute façon. Puis, je sentis de l'air frais fouetter mon visage, comme si je me déplaçais à la vitesse de la lumière. La tête nichée dans son cou, je reniflais le vétiver à plein nez. Il sentait bon. J'eus le dernier réflexe de marmonner "trop de cheveux". J'entendis Sam rire de très loin. J'avais bien chaud lovée dans ses grands bras musclés, je n'avais plus peur. Je m'abandonnai alors au black-out.


A suivre ...


6 commentaires:

  1. coucou,
    me revoilà,
    j'ai lu mon retard et tu sais je me vois bien dans mon bain avec ton bouquin..

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  2. Ah bein écoute vais faire en sorte de le finir rapidement mais je ne te garantis pas que le livre sera waterproof ! mdr

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  3. lollllllll...
    pas encore d'accidents à déplorer, d'ailleurs çà fait beaucoup rire les gars..

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  4. Tu vis dangereusement Naïs ! mdr

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  5. C'est chouette, je file lire la suite (j'avais du retard) !!

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  6. Trop bien j ai hâte de savoir comment tout ça va finir!!!

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